En raison de la profession de mon père, j’ai dû voyager constamment et vivre une sorte de nomadisme tout au long de ma vie en Turquie. Cette vie m’a permis de rencontrer de nombreuses personnes et de faire face à de nombreuses personnalités aux caractéristiques différentes. J’ai changé d’école quatre ou cinq fois… Ce fut un processus difficile pour moi et ma famille, ainsi que pour mon père, mais je n’ai changé de pays qu’à l’âge de 17 ans. Il est intéressant de constater que je ressens certains problèmes d’horizon comme une source d’inspiration dans mon coeur. Et une fois, de la même manière, très confiante, parlant à mes amis après un cours d’éducation physique (j’avais 15 ans à l’époque), je leur ai dit : « Je vais aller à l’étranger, je vais vivre là-bas, je vais étudier là-bas » Je me souviens très clairement (parce que de tels événements ne me font généralement pas renoncer à mes rêves, ils ne font que me renforcer), l’un de mes amis s’est moqué de moi et a dit sarcastiquement : « Exactement, même regarde ! Ton avion décolle ! » … A cette époque, nous n’avions pas prévu de partir à l’étranger. Mais cela semblait être dans mon coeur. Je n’avais aucun doute sur le fait qu’Allah me soutiendrait complètement dans cette voie.
Et nous sommes en 2021, au mois de mars. Mon avion décollait pour la Suisse, comme l’avait dit mon ami. Ce ne sera pas comme tous les changements de ville que j’ai pu faire, c’est certain. Mais avec l’imagination et la positivité de l’enfance, la Suisse m’apparaissait comme un pays fantastique couvert de rêves rose poudré. Mon aventure couverte d’un grand inconnu commençait. J’étais très excitée à l’idée de suivre ma première leçon dans la classe d’accueil de Genève, en Suisse. Ma connaissance du français était nulle, tout comme ma connaissance de la culture des cours européens. Lorsque le professeur est entré dans la classe, je me suis levée. Les autres élèves me regardaient et ne comprenaient pas mon comportement. Le professeur m’a dit de m’asseoir d’un geste de la main.
Un autre souvenir est celui d’un jour où je passais mon premier examen de mathématiques. Tout le monde avait une calculatrice, mais je n’en avais jamais utilisé de ma vie en Turquie ! Surtout lors d’un examen ? impossible ! Je n’avais pas de calculatrice. Et comme si cette carence ne suffisait pas, j’avais des difficultés dans le domaine où j’étais le meilleur à cause de la langue.
Mon premier examen s’était soldé par un désastre… C’est grâce à cet examen que j’ai compris qu’il était temps de mettre fin à cette affaire. A l’examen suivant, j’avais appris un peu la langue et compris ce qu’il fallait faire à l’examen. J’ai terminé l’examen à une vitesse incroyable et j’ai obtenu la note maximale de 6.
Mes amis étaient stupéfaits, mais pour moi, je devais surmonter le seul obstacle qui se dressait devant moi, la grande barrière de la langue. Bien sûr, ce n’était pas le seul problème : nous vivions dans un camp à l’époque, et il n’était pas facile pour ma famille de s’intégrer dans le camp, sans parler de mon propre espace d’étude. De temps en temps, je devais remettre en question mes rêves concernant la Suisse parce que je traversais un processus vraiment difficile. Après 5-6 mois de camping, nous avons finalement réussi à déménager dans un appartement. Mon apprentissage de la langue se poursuivait.
Déménager dans un nouvel appartement a ajouté beaucoup de confort à ma vie. J’avais un tout nouvel espace de travail et une
maison centrale.
Mon école était à 40 minutes de mon camp et ma maison n’était qu’à 10 minutes à pied de mon école. Je pouvais enfin me concentrer sur ma propre capacité éducative et sur mes rêves. Oui, les jours passaient vite et la vie à Genève devenait chaque jour plus facile pour nous.
Mon niveau de langue s’améliorait rapidement ; j’étais maintenant capable de parler et de comprendre tout facilement. Je commençais tout juste à réaliser à quel point Genève était spéciale pour moi et les opportunités qu’elle m’offrait. Pendant cette période, j’ai changé de professeur et de classe, mais la valeur et l’importance de ma professeure de maths étaient toujours différentes.
Un jour, alors que je marchais dans les couloirs de l’école, je l’ai rencontrée, je suis allée vers elle et j’ai commencé à discuter avec elle en français. Je l’ai remerciée sincèrement pour le soutien qu’elle m’avait apporté et elle m’a dit : « Les phrases qu’elle a prononcées lors de la conversation avec ton père ce jour-là m’ont profondément touchée. A ce moment-là, j’ai senti dans mon coeur que je devais te soutenir ».
Après deux ans d’enseignement des langues, mes professeurs ont été surpris par ma rapidité d’apprentissage et ma réussite en calcul. C’est ainsi que j’ai commencé le collège. J’ai choisi cette filière parce que j’excellais en maths et en physique et que
j’aimais ça. Je suis maintenant en troisième année, je poursuis mes études avec beaucoup de zèle et je suis sûre que les chocs culturels et les changements de niveau de vie m’ont rendue mille fois plus forte. Je peux enfin voir mon avenir non pas à travers le brouillard, mais dans la lumière éclatante du soleil qui illumine mon chemin…
Je me tiens devant l’un des camps d’Hospice. Sur mon dos, un sac à dos, dans ma main, un stylo et un carnet… Je ressens une excitation et une curiosité alors que j’avance sur ce chemin silencieux, en route pour une interview avec un réfugié politique dont je ne peux révéler le nom pour des raisons de sécurité. Le long et étroit chemin, serpentant entre les arbres, me plonge dans un sentiment de solitude et d’abandon, ce qui ralentit mes pas. L’air, malgré la lumière du soleil, est chargé d’un froid pénétrant ; les arbres dénudés témoignent silencieusement de cette aventure. Je scrute les alentours, espérant apercevoir quelqu’un, mais je ne rencontre que le silence.
Enfin, j’arrive devant la porte de la chambre de cet homme. Je frappe doucement à la porte. Accueilli par une voix chaleureuse et amicale venant de l’intérieur, il me dit en souriant : « Bienvenue, mon frère, entre. J’ai préparé du thé pour toi. » En entrant, je me retrouve dans un petit monde chaleureux. Dans un coin de la pièce, un petit lit, juste à côté une cuisine ; à l’arrière, une salle de bain et des toilettes. Dans cette ambiance intime, je sens la chaleur me gagner, dissipant l’effet du froid extérieur. « Merci, c’est gentil », dis-je, reconnaissant pour ce moment. Je m’assois à l’endroit qu’il m’indique, emporté par l’excitation de pouvoir l’interviewer. La chaleur de la pièce vient contraster avec le froid extérieur, intensifiant mon enthousiasme. D’une voix sincère, il commence à se présenter. « Je suis un éducateur venu de Turquie », dit-il, avec des étincelles d’excitation dans les yeux. Dès sa première phrase, le portrait d’un enseignant ayant dédié sa vie à l’éducation des enfants et des jeunes se dessine devant moi. Il travaille dans six provinces différentes de Turquie et enseigne dans des écoles ouvertes grâce aux sacrifices du peuple anatolien à l’étranger. Tout en portant l’orgueil de ses belles oeuvres passées, il se tient devant moi, droit malgré les épreuves et la fatigue de la vie. Cependant, son humilité est la plus belle expression de sa modestie.
En 2016, avec le pouvoir que l’autorité politique prend en Turquie, lui et l’école où il travaille se retrouvent déclarés illégaux et injustement licenciés, puis accusés de trahison. Pourtant, l’école dans laquelle il travaille est agréée par l’État turc et fonctionne conformément à la loi, régulièrement inspectée par les autorités compétentes. Avec une tristesse dans la voix, il s’exclame d’un ton un peu plus fort : « Nous sommes des gens qui ne blesserait même pas une fourmi, mais nous avons été injustement accusés pour des raisons politiques. » Après ces mots, un silence s’installe, le bruit du vent à l’extérieur s’infiltrant à l’intérieur, accompagnant le son de l’eau bouillante sur le feu. « Attends un peu, mon frère, je vais te servir du thé », dit-il. Après avoir partagé le thé et quelques noix, il raconte qu’il passe 21 jours en détention avec 171 enseignants. Pendant cette période, il subit des pressions pour admettre sa culpabilité et se retrouve contraint de nommer des complices. « J’éprouve des tortures systématiques dans des cellules sombres », dit-il. Le tremblement de sa voix ravive des souvenirs douloureux. En évoquant les moments où il perd l’audition, reçoit des décharges électriques sur son corps, et est menacé de représailles contre sa famille, il partage sa douleur avec une voix triste et innocente.
En montrant les rapports médicaux de ses médecins en Suisse, il indique qu’il a une perte auditive de 90 % à l’oreille gauche et de 80 % à l’oreille droite. « Il m’est impossible de communiquer avec les gens sans un appareil auditif », dit-il. Il parle également des tortures qui continuent en prison. « Je n’entends pas, c’est pourquoi je demande des appareils auditifs par le biais de lettres. Le directeur de la prison répond : ‘Vous ne pouvez pas obtenir cet appareil parce que vous êtes un prisonnier politique.’ » Il ajoute que s’il avait été un voleur ou un trafiquant de drogue, il aurait pu obtenir l’appareil auditif. Les procédures judiciaires se poursuivent, avec des allers-retours entre la prison et le tribunal. Finalement, le tribunal, ne trouvant aucune preuve contre lui, le libère sous condition. Cependant, après sa sortie de prison, en raison de pressions politiques, même ses proches refusent de lui parler. Et finalement, il déclare : « Je dois quitter mon pays bien-aimé pour ne pas être torturé. » Cette phrase résume la profonde douleur et le désespoir qu’il porte en lui.
À travers ses récits, cet éducateur qui vient de sortir de prison me fait ressentir qu’il vit encore comme s’il était dans une prison à ciel ouvert, même dans ses premiers instants de liberté. « Même si ma profession m’a été enlevée, je suis toujours un enseignant dans mon âme », dit-il. Ces mots montrent que l’esprit enseignant qu’il porte en lui vit indépendamment des chaînes physiques. Cependant, lorsque se remémorant le moment le plus douloureux de sa vie, la mort prématurée de sa mère, la douleur dans son coeur s’accentue. Après le décès de sa mère, les années où sa tante joue un rôle maternel lui apportent une certaine chaleur, mais la peur qu’il ressent en tant qu’enfant sortant de prison le plonge dans une profonde mélancolie. Il rend visite à sa tante, et lorsque celle-ci ouvre la porte, elle a peur de le voir ; l’atmosphère de peur créée par le pouvoir enveloppe encore plus cette femme âgée, déjà blessée au coeur. « Ont-ils l’intention de nous faire quelque chose à cause de ta visite ici ? » Cette question révèle la psychose de la peur au sein de la société.
Les dialogues lors de son procès lui viennent en mémoire. Les moments où il dit : « Je suis enseignant, pas terroriste » lui rappellent l’incertitude dans les yeux des juges. Le fait qu’un homme ayant toujours tenu un stylo en tant qu’éducateur soit stigmatisé comme un terroriste constitue un exemple amer de l’arbitraire et de l’injustice en Turquie. Le tribunal déclare illégales ses activités d’enseignement, ignorant ainsi toutes les oeuvres qu’il réalise au cours de sa vie.
Cet enseignant, nouvellement libéré, se trouve à l’aube d’une nouvelle vie. En traversant la rivière Meriç pour atteindre la Grèce, cela représente un nouveau départ pour lui. Son histoire de migration est aussi complexe et profonde que les conflits intérieurs de Raskolnikov dans « Crime et Châtiment » de Dostoïevski. Après avoir franchi la frontière, il marche sur des sentiers boueux vers Thessalonique. L’exil est sa seule source de motivation ; ce mot représente pour lui à la fois une lutte pour l’existence et un symbole d’espoir. Les jours passés à Thessalonique et à Athènes lui ouvrent les portes d’une nouvelle vie.
Mon Histoire de Réfugiée Politique en Tant que Femme et Mère
Enseigner a toujours été une passion, un mode de vie pour moi. Pendant 16 ans, j’ai travaillé comme professeure d’anglais en Turquie, soutenant mes élèves dans leur apprentissage, observant leur développement et accompagnant leurs rêves. Mais en 2021, ma vie a radicalement changé. Sous la pression de difficultés politiques et personnelles, j’ai été contrainte de quitter mon pays avec mon mari et mes enfants. Cette décision, aussi difficile qu’elle ait été, était nécessaire. Nous avons laissé derrière nous notre maison, nos proches, une vie entière. Avec une simple valise et mille espoirs, nous avons pris la direction de la Suisse, en quête de sécurité et d’un avenir à reconstruire.
Ce voyage a été à la fois une promesse et une épreuve. Nous avons quitté tout ce que nous connaissions pour entrer dans un monde inconnu. La langue, la culture, les règles… tout était nouveau et déroutant. En tant que réfugiée politique, j’ai ressenti profondément le poids de l’exil : une sensation de perte, mais aussi une détermination inébranlable à offrir une vie meilleure à mes enfants. Leurs regards pleins d’espoir nous ont donné la force de continuer, malgré l’incertitude.
Les Services Sociaux : Une Main Tendue Qui Change Tout
En arrivant en Suisse, j’ai découvert pour la première fois les services sociaux. En Turquie, je n’avais jamais eu besoin de demander de l’aide. J’étais une femme indépendante, une professionnelle accomplie. Être désignée comme « bénéficiaire » au début m’a profondément troublée. Je me sentais vulnérable, exposée. Mais j’ai vite compris que les services sociaux en Suisse allaient bien au-delà d’un simple soutien matériel. Ils représentaient une solidarité, un respect pour la dignité humaine et une aide pour se reconstruire.
Grâce à ce système, ma famille et moi avons retrouvé un équilibre. Ce soutien nous a permis de respirer, de nous adapter et de reconstruire notre vie dans un environnement sûr. Même les aides qui pouvaient sembler petites avaient pour nous une signification immense. Ces expériences m’ont également amenée à réfléchir à ma place dans ce nouveau pays : comment pouvais-je contribuer à cette société qui nous avait si bien accueillis ?
Un Sentiment de Sécurité Retrouvé
Pour la première fois depuis longtemps, en Suisse, je me suis sentie en sécurité. Les institutions solides, les lois protectrices… tout semblait fiable. Mes enfants pouvaient aller à l’école sans peur, apprendre et s’épanouir. Cette stabilité leur a offert une opportunité précieuse, ouvrant la porte à un avenir meilleur. Les voir heureux et en sécurité m’a confirmé que nos sacrifices n’étaient pas vains.
Pour moi, ce sentiment de sécurité m’a permis de rêver à nouveau. Il m’a donné la force de réfléchir à ma propre reconstruction, non seulement en tant que mère, mais aussi en tant que femme qui souhaite contribuer activement à cette société.
Le Travail Social : Une Nouvelle Vocation et Un But
Ces expériences m’ont conduite à une décision importante. Inspirée par l’aide que ma famille et moi avions reçue, j’ai décidé de changer de carrière et d’étudier le travail social à la HETS (Haute École de Travail Social). Ce n’était pas seulement un choix professionnel, mais une mission personnelle. Je voulais utiliser mes expériences, mes forces et ma résilience pour accompagner d’autres personnes traversant des épreuves similaires.
Apprendre le travail social m’a permis de comprendre les défis auxquels de nombreuses personnes vulnérables sont confrontées, mais aussi de découvrir comment des interventions réfléchies et humaines peuvent transformer des vies. En tant qu’ancienne bénéficiaire, je ressens une profonde empathie pour ceux qui traversent des moments difficiles. Tout comme on m’a tendu la main, je veux être là pour les autres.
Être réfugiée politique, c’est vivre entre deux vies
Celle que vous avez laissée derrière et celle que vous essayez de construire. En tant que femme et mère, cette expérience est encore plus intense. Chaque jour, je devais être forte pour mes enfants, leur montrer qu’un avenir était possible malgré les épreuves. J’ai dû jongler entre mes responsabilités familiales et ma propre reconstruction. Cela demandait une énergie immense, mais cela m’a aussi permis de découvrir en moi une force intérieure insoupçonnée. Chaque défi surmonté a renforcé ma détermination.
Les femmes réfugiées politiques apportent une richesse incroyable aux sociétés d’accueil. Elles ne sont pas seulement des mères ou des épouses ; elles sont des bâtisseuses, des créatrices de ponts entre les cultures. Chaque épreuve qu’elles traversent les rend plus fortes, et cette force inspire leur entourage. Aujourd’hui, je suis fière d’être une actrice de ce changement. J’ai appris à
Mon Objectif : Redonner de l’Espoir et Tendre la Main
Mon objectif est clair : apporter de l’espoir à ceux qui traversent des moments difficiles, les aider à trouver leur propre chemin, et leur tendre une main, tout comme on l’a fait pour moi. Car je sais qu’une main tendue peut changer non seulement la vie d’une personne, mais aussi celle de son entourage et des générations futures. Les femmes réfugiées politiques, malgré les épreuves qu’elles ont endurées, possèdent une résilience et une détermination incroyables qui leur donnent la capacité de transformer leur vie et d’enrichir profondément les communautés qui les accueillent. Elles ne se contentent pas de soutenir leur propre famille, elles participent activement à la reconstruction et à l’évolution des sociétés où elles s’installent.
Être réfugiée, ce n’est pas seulement un déplacement physique, c’est aussi une profonde quête émotionnelle. Chaque larme versée peut se transformer en une lumière d’espoir, et chaque défi en une force intérieure. Moi aussi, j’ai fait partie de ce processus. Mes peines, mes angoisses et mes épreuves sont devenues des opportunités de croissance et de transformation. Aujourd’hui, je me considère non seulement comme la porteuse de ma propre histoire, mais aussi comme une messagère pour les femmes qui, comme moi, ont traversé des temps difficiles.
Je suis fière d’être une partie de cette société qui m’a offert sécurité, solidarité et opportunités. Mais plus encore, je veux maintenant trouver des moyens d’offrir cette même sécurité et ces mêmes opportunités à d’autres. Car je crois fermement qu’une société fondée sur l’empathie et la solidarité est une société véritablement unie.
La vie n’a pas toujours été facile, mais les moments difficiles m’ont appris la résilience et la persévérance. Aujourd’hui, je choisis de faire partie de cette société, non pas comme une réfugiée politique, mais comme une femme, une mère et une accompagnatrice. J’ai vu, dans ma propre histoire, comment un petit geste, un mot d’encouragement, peut transformer une vie. Désormais, je suis déterminée à utiliser cette expérience pour toucher d’autres vies et raviver leurs espoirs. C’est ma nouvelle vie, ma nouvelle mission, et mon rêve le plus profond.
Bonjour. Nous vous remercions d’avoir accepté notre invitation et d’être notre invité aujourd’hui. Si vous le permettez, commençons par la première question :
Quelles ont été les principales raisons qui vous ont poussé à quitter l’Afghanistan ?
Comment avez-vous vécu ce processus ?
Merci de m’accueillir. Je peux dire que j’ai dû quitter mon pays pour des raisons politiques. Bien sûr, c’était une décision difficile et un processus compliqué. Mais je n’avais pas d’autre choix.
Le fait d’avoir dû quitter votre pays, comment cela a-t-il affecté votre vie ? Comment avez-vous vécu cette expérience de recommencer une nouvelle vie ?
Après avoir quitté mon pays, j’ai rejoint un autre pays. Y recommencer ma vie à zéro, être éloigné de mon pays, et me dire que je ne pourrais jamais y retourner… Tout cela a été extrêmement difficile. Mais je n’avais pas d’autre choix. Je me suis dit à moi-même :
“Je dois commencer une nouvelle vie ici.” C’était un processus très compliqué, mais avec l’aide de Dieu, j’ai essayé d’y faire face du mieux possible.
Quelles difficultés votre famille a-t-elle rencontrées après le changement de régime, notamment en ce qui concerne l’éducation de vos frères et soeurs et les changements dans votre foyer ?
Après le 15 août 2021, lorsque les Talibans ont repris le pouvoir, ma famille, qui est restée en Afghanistan, a été directement affectée par la situation. Mes frères et soeurs étaient étudiants en médecine à l’université publique. S’ils avaient pu poursuivre leurs études, aujourd’hui, ils seraient de jeunes médecins qualifiés, prêts à servir la société. Mais malheureusement, cela fait trois ans qu’ils sont contraints de rester à la maison, sans pouvoir poursuivre leur formation.
Ma mère était enseignante dans un lycée pour filles. Mais comme les filles ne sont plus autorisées à aller à l’école, elle a automatiquement perdu son emploi et ne peut plus travailler. En d’autres termes, ma mère et mes frères et soeurs sont enfermés chez eux, sans aucune possibilité de mener une vie active. C’est une situation extrêmement difficile. Mon père était entrepreneur et dirigeait sa propre entreprise. Mais ces derniers temps, les Talibans ont imposé des règles très strictes aux commerçants et aux entrepreneurs. Mon père n’a pas pu s’adapter à ces nouvelles exigences et a donc été contraint de fermer son entreprise. Et il n’est pas le seul. Environ 90 % de ses collègues du même secteur ont également dû arrêter leurs activités. En résumé, cette situation a eu un impact très négatif et très lourd sur chaque membre de ma famille.
En ce qui concerne votre mère et votre soeur, vous avez dit qu’elles avaient dû arrêter leurs études et leur travail après l’arrivée des Talibans. Est-ce uniquement dû à la fermeture des écoles, ou bien y a-t-il une politique générale interdisant aux femmes de travailler et de participer à la vie sociale ?
Je dirais que c’est les deux. Les Talibans interdisent aux filles d’aller à l’école à partir de l’âge de 12 ou 13 ans, c’est-à-dire dès le collège.
L’enseignement supérieur leur est également complètement interdit. De plus, même les femmes diplômées qui travaillaient sous le gouvernement précédent ont perdu leur emploi. Elles n’ont plus le droit de travailler. Leur vie sociale a aussi été drastiquement réduite. Par exemple, les femmes ne peuvent plus aller dans les parcs ou les centres commerciaux. Elles ne peuvent pas sortir sans être accompagnées par un homme de leur famille. Elles ne peuvent pas prendre un taxi seules, ni voyager d’une ville à l’autre ou à l’étranger. Selon la vision des Talibans, les femmes doivent rester à la maison, ne pas sortir, ne pas parler aux hommes, ne pas travailler et ne pas étudier.
Lorsque vous viviez en Afghanistan, quelles étaient les principales difficultés du quotidien ? Quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à partir ?
J’avais un emploi en Afghanistan, et c’était un travail difficile. Mais malgré tout, j’étais motivé, passionné et animé par un profond amour pour mon pays. Ce qui me donnait de la force, c’était de voir que les femmes pouvaient travailler, que les filles pouvaient aller à l’école, que chacun pouvait vivre librement et en paix. Cela me motivait énormément. Malgré la difficulté et la dangerosité de mon travail, cela me donnait envie de continuer. Mais un jour, ma propre vie a été menacée. Je devais partir.
Vous êtes arrivé en Suisse et vous vivez maintenant à Genève. Comment s’est passée votre adaptation ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ?
Comme je l’ai dit, s’installer dans un nouveau pays et recommencer à zéro, c’est un processus extrêmement difficile. Être séparé de ses amis, de son pays, de sa culture… Tout cela n’est pas facile. Au début, j’ai vécu des moments très difficiles.
La solitude, la barrière culturelle et surtout la barrière linguistique… Mais je me suis dit : “Si tu continues à penser comme ça, tu ne pourras jamais trouver ta place ici.” Alors j’ai décidé d’être fort et d’avancer. Je n’avais pas le choix, parce que ma famille compte sur moi et je suis leur dernier espoir. C’est cette motivation qui m’a donné la force de continuer. J’ai donc commencé par apprendre la langue. Car sans cela, l’intégration est presque impossible.
Nous avons observé que vous avez énormément progressé dans l’apprentissage des langues.
Dieu merci, aujourd’hui je peux m’exprimer et me faire comprendre. J’ai appris la langue, j’ai trouvé un travail, je fais du bénévolat, je fais du sport et j’ai rencontré de nouvelles personnes. Je suis libre et en sécurité. Mais parfois, quand je pense à ma famille, et surtout à mes frères et soeurs, j’ai du mal à contenir mes émotions.
Si je reste constamment plongé dans ces pensées, je risque de me perdre moi-même. C’est pourquoi j’essaie de garder un équilibre entre ces émotions. Parfois, je suis heureux, parfois je suis inquiet, parfois je ressens de la paix. Récemment, il m’est arrivé quelque chose d’étrange. Je voulais regarder quelque chose sur Google Maps, alors j’ai cherché ma ville natale. Pendant quelques minutes, j’ai eu l’impression d’être encore là-bas, comme si je vivais encore sous le régime des Talibans. C’était une sensation si forte que j’ai immédiatement fermé l’application. Je n’ai même pas pu supporter deux ou trois minutes cette idée. Mais c’est mon pays. C’est ma ville. C’est ma culture. C’est ma religion. Et pourtant, aujourd’hui, à cause de ce régime, je ne peux même pas imaginer y être. Ce jour-là, j’étais complètement abattu. Je me suis dit : “Que Dieu aide mes frères et soeurs, ma famille et tout le peuple afghan.” Parce que c’est une souffrance indescriptible.
En ce moment, vous êtes loin de votre pays. Alors, d’un point de vue culturel et identitaire, comment vivez-vous le fait d’être en quête d’un équilibre entre votre culture d’origine et celle de votre pays d’accueil ? Comment percevez-vous votre intégration dans cette nouvelle culture ?
C’est une très bonne question. En réalité, il existe d’énormes différences entre la culture afghane et la culture suisse. Mais je crois profondément que toutes les cultures ont à la fois des aspects positifs et négatifs. J’essaie donc de laisser de côté les aspects négatifs de ma propre culture, tout en conservant et en développant ses côtés positifs. J’adopte la même approche vis-à-vis de la culture suisse. Pour s’intégrer, il faut forcément s’immerger un peu dans cette culture. Mais cela ne signifie pas que l’on doit tout accepter sans distinction.
J’essaie d’intégrer les aspects positifs de la culture suisse dans ma vie, tout en gardant mes distances avec ce que je considère comme négatif. En fin de compte, mon objectif est de créer une synthèse en prenant des éléments de différentes cultures, tout en restant fidèle à mes croyances et à mon mode de vie.
Qu’est-ce qui vous a motivé tout au long de votre processus d’intégration ?
Sans motivation, il est très difficile d’avancer. Pour moi, ma famille a été ma plus grande source de motivation. Mais c’est un sentiment paradoxal… Parce que ma famille est aussi la source de ma tristesse et de mon chagrin. Quand je pense à eux, cela me donne de la force, mais en même temps, cela me rend profondément triste. Mais je crois que ce n’est pas une mauvaise chose. Au contraire, c’est même très beau. Car s’inquiéter pour ses proches, penser à leur avenir, se soucier d’eux… C’est aussi une belle preuve d’amour. Si j’étais resté en Afghanistan, et que ma famille n’était pas là, peut-être que je n’aurais pas autant cherché à m’intégrer. Mais en pensant à eux, en réalisant que je suis leur dernier espoir, je me suis dit : “Je dois avancer, non seulement pour moi, mais aussi pour eux.” Cette pensée m’a donné de la force et de l’énergie. Ma famille est tout pour moi.
Revenons à l’Afghanistan.
Vous avez vécu une expérience bouleversante, notamment avec le changement de régime. Vous avez observé ce processus à la fois à travers votre propre vie, mais aussi à travers celle de votre famille et de votre entourage. Comment ce changement a-t-il affecté les vies individuelles ?
Comme disent les Français, “C’est une catastrophe.” Ce changement de régime a eu un impact profondément négatif sur moi, ma famille et l’ensemble du peuple afghan. Les conséquences pour le pays sont immenses. Des professeurs, des médecins, des ingénieurs, des personnes hautement qualifiées et talentueuses ont été forcées de partir. Aujourd’hui, elles travaillent en Europe, aux États-Unis ou ailleurs, et elles contribuent à renforcer et à développer ces pays. Mais l’Afghanistan, lui, a perdu ses cerveaux, son potentiel, son avenir. Un pays sans éducation est un pays qui ne peut pas avancer. Aujourd’hui, la moitié de la société afghane est privée d’éducation. Le pays est bloqué. Et au-delà de l’éducation,ce changement de régime a eu un impact dévastateur sur chaque individu. Dans tous les domaines, les conséquences sont dramatiques. Avant l’arrivée des Talibans, beaucoup d’Afghans ne voulaient pas quitter leur pays, même si on leur proposait de l’or. Ils se disaient : “C’est notre pays, nous sommes en sécurité, nous sommes libres, nous pouvons vivre ici.” Ils voulaient rester et aider à bâtir leur nation. Mais aujourd’hui, dès qu’ils trouvent une occasion de partir, ils n’hésitent plus une seconde. Même s’ils aiment profondément leur pays, il n’est plus possible d’y vivre dans de telles conditions.
Si un jour, l’Afghanistan devenait un pays stable et sûr, envisageriez-vous d’y retourner ?
Aujourd’hui, ma vie est en danger si je retourne en Afghanistan. Comme moi, des milliers de personnes ne peuvent pas rentrer.
Mais si le régime change, si un gouvernement stable et sécurisé est mis en place, je rentrerai sans hésiter. Bien sûr, nous devrons recommencer à zéro. Mais au moins, nous serons en sécurité et ensemble. Peut-être que nous ne verrons pas ces jours meilleurs de notre vivant, car reconstruire un pays prendra des années, voire des générations. Mais peu importe. Nous ferons notre part. Nous ferons tout notre possible. L’essentiel, c’est que nos enfants, nos petits-enfants et les générations futures puissent voir des jours meilleurs.
Aujourd’hui, qu’est-ce qui vous rend heureux ? Et quel est votre plus grand rêve pour l’avenir?
Honnêtement, il n’y a rien dans ma vie aujourd’hui qui me rend profondément heureux. Car mon pays et ma famille sont toujours dans un coin de mon esprit. Bien sûr, j’ai un travail, je fais du sport, j’aime ce que je fais. Être libre et en sécurité me fait du bien. Mais ce n’est pas le bonheur que j’ai en tête. Ce sont de petits moments de joie, des éléments qui m’aident à tenir, qui me permettent de garder ma motivation. Mais dès que je pense à ma famille, à mon pays, à ce qui s’y passe, je ressens une profonde tristesse. Alors j’essaie de garder un équilibre, de ne pas sombrer dans le négatif. Si je devais parler de mon rêve le plus cher, je dirais que mon plus grand souhait est que mon pays soit libre et en paix. Que les filles et les femmes puissent travailler et étudier librement. Si ce rêve devient réalité, je n’aurai plus rien à demander à Dieu. Ce serait le plus beau cadeau que la vie puisse m’offrir.
Merci infiniment de nous avoir accordé du temps et partagé votre histoire. Nous sommes très reconnaissants au nom de notre magazine. C’est moi qui vous remercie. Je suis heureux d’avoir pu partager mon expérience avec vous. J’espère qu’en racontant mon histoire, je pourrai, ne serait-ce qu’un peu, contribuer à la réalisation de mon rêve.
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