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  • L’intégration commence au niveau local: leçons tirées du fédéralisme Suisse

    L’intégration commence au niveau local: leçons tirées du fédéralisme Suisse

    Le terme Kantönligeist, une création linguistique mêlant les mots allemands «Kanton» (canton) et «Geist» (esprit), est profondément ancré dans la structure politique et sociale de la Suisse. Il désigne la tension entre la souveraineté cantonale et l’unité fédérale, une dynamique qui façonne l’identité suisse depuis la création de l’État fédéral moderne en 1848. Ce concept a conduit à l’adoption d’instruments politiques centraux tels que le fédéralisme et la démocratie directe, tout en préservant une autonomie maximale pour les cantons, caractéristique essentielle de cette «nation de volonté» qu’est la Suisse. Dans ce contexte, le Kantönligeist exprime non seulement les particularités régionales, mais aussi une base pour la coexistence dans la diversité.

    La structure fédérale de la Suisse se reflète notamment dans sa Constitution, qui accorde des compétences étendues aux cantons. Dans des domaines tels que l’éducation ou l’intégration, les cantons disposent de marges de manoeuvre qui leur permettent de répondre aux besoins régionaux. Cette décentralisation favorise une proximité avec les citoyens, un élément clé du système politique et social. Cet équilibre entre diversité et unité montre comment le Kantönligeist peut servir de modèle pratique pour une coexistence fonctionnelle dans une société pluraliste.

    L’intégration des personnes issues de l’immigration illustre de manière particulière l’organisation fédérale de la Suisse. Les cantons portent la responsabilité principale des mesures d’intégration, une approche pragmatique. Les identités locales se développent souvent plus rapidement et plus durablement que les identités nationales. Il ne faut pas des décennies pour qu’une personne se sente Genevoise, Zurichoise ou Bernoise ; ces identités se forment souvent en quelques années seulement. Cela s’explique par la nature quotidienne des interactions locales, les activités communes et les réalités concrètes de la vie. Cette ancrage local renforce non seulement le sentiment d’appartenance, mais contribue aussi à la stabilité sociale.

    Cependant, la question de l’identité est complexe et souvent source de défis pour les personnes issues de l’immigration. Personnellement, j’ai ressenti intensément ces tensions. Bien que je sois né et grandi en Suisse, que j’aie acquis la nationalité suisse à l’adolescence, effectué mon service militaire et participé à de nombreuses activités civiques, on me demande régulièrement si je suis un «vrai» Suisse. En même temps, dans le pays d’origine de mes parents, je suis «le Suisse». Cette double perspective montre que les identités ne sont pas seulement vécues de manière subjective, mais aussi attribuées de l’extérieur. Pour beaucoup, cela engendre un sentiment d’entre-deux, pouvant provoquer des crises identitaires.

    Les jeunes, en particulier, sont confrontés à des défis lorsqu’ils tentent de construire leur identité dans un environnement aux attentes contradictoires. Les crises identitaires peuvent avoir des conséquences profondes, y compris une vulnérabilité accrue à la radicalisation ou à la ségrégation sociale. Les études montrent qu’un sentiment d’exclusion peut rendre les jeunes plus réceptifs à des groupes qui semblent offrir des réponses claires et un sentiment d’appartenance. Les réseaux sociaux jouent ici un rôle ambivalent : s’ils permettent de créer des connexions, ils peuvent aussi, par des bulles de filtres et des dynamiques de radicalisation, encourager des évolutions négatives. Le désir d’appartenance à un groupe promettant identité et communauté est humain, mais il devient dangereux lorsque cette appartenance repose sur l’exclusion ou l’extrémisme.

    Face à ces défis, il est crucial de promouvoir des approches d’intégration à l’échelle locale. L’identité locale, qu’elle soit celle d’un habitant d’une commune ou d’un canton, offre une connexion émotionnelle tangible. Elle crée un sentiment de communauté, indépendant des origines ethniques ou culturelles. Dans mon expérience de travail bénévole avec les jeunes, j’ai souvent observé l’impact positif d’un fort ancrage local. Lorsqu’ils s’identifient à leur lieu de résidence, ils parlent de «nous» et développent un sentiment d’appartenance stabilisateur. Cette identité locale devient un repère leur permettant de s’orienter dans un monde complexe.

    Un moyen prometteur de favoriser l’intégration est de promouvoir l’engagement bénévole à l’échelle locale. Les personnes issues de l’immigration qui participent activement à leur communauté découvrent une dynamique accélérant leur intégration. Que ce soit par des visites en maison de retraite, l’organisation d’événements ou le nettoyage d’un parc, ces activités renforcent le sentiment d’appartenir à une communauté. Cela est particulièrement bénéfique pour les jeunes, leur offrant des opportunités de nouer des liens sociaux tout en assumant des responsabilités. Ces expériences les aident à se percevoir comme des acteurs à part entière de la société.

    Cependant, l’impact du bénévolat va au-delà de l’individu. Il renforce la cohésion sociale et encourage le dialogue entre différents groupes. À une époque marquée par une polarisation et une fragmentation croissantes, c’est un outil précieux pour construire des ponts entre les diverses composantes de la société. Il ne s’agit pas seulement d’inclure les migrants, mais aussi de déconstruire les préjugés et de favoriser une compréhension mutuelle.

    Mon expérience personnelle montre que l’identité locale est une clé puissante pour l’intégration. Elle offre une base stable, difficilement ébranlée par les attributions externes ou les tensions sociales. Dans ce contexte, le Kantönligeist n’est pas seulement un vestige historique ou une particularité régionale ; il est un principe vivant qui soutient l’intégration et la cohésion dans une société diversifiée. En combinant un ancrage local et un engagement bénévole, il est possible de construire une société où chacun – quelle que soit son origine – trouve sa place et se sent partie intégrante du tout.