Étiquette : vivre ensemble

  • Voisinage

    Voisinage

    Importance des relations de voisinage dans la culture turque

    De nos jours, on pourrait penser que la vie en appartement, avec son nombre croissant de logements, le rythme de travail intense et la numérisation affaiblissent les relations de voisinage. Cependant, grâce aux liens culturels forts qui unissent la société turque, ces relations continuent d’être transmises de génération en génération et demeurent une part essentielle de notre quotidien.

    Pour nous, le voisinage signifie partager, s’entraider et se soutenir mutuellement dans les moments difficiles. Ces valeurs sont si importantes qu’elles nous maintiennent unis en tant que société. J’aimerais vous donner quelques exemples concrets de cette solidarité qui caractérise notre culture.

    Un accueil chaleureux dès votre arrivée

    Tout le monde peut ressentir de l’inquiétude lorsqu’il s’installe dans un nouvel endroit en raison de l’inconnu et de la solitude qui peuvent en découler. Si vous déménagez dans une ville en Turquie, vous avez de la chance. Dès que vos affaires commencent à être déchargées du camion, les voisins viennent vous saluer avec un “Bienvenue ! Avez-vous besoin d’aide ?”. Cette attention chaleureuse dissipe immédiatement la mélancolie et l’incertitude du déménagement.

    Ce type d’accueil chaleureux vous fait instantanément passer du statut d’étranger à celui d’un membre à part entière de la communauté, vous offrant un véritable sentiment d’appartenance.

    Le premier jour dans un nouveau foyer : la générosité des voisins

    Le premier jour d’installation est toujours très chargé. Il y a mille choses à faire : déballer les cartons, monter les meubles, ranger… Dans ces moments-là, il y aura toujours un voisin qui viendra frapper à votre porte avec du thé chaud et des collations préparées maison, vous permettant ainsi de reprendre des forces sans perdre de temps.

    Une autre tradition veut que l’on ne rende jamais une assiette vide. Quelques jours plus tard, lorsque vous serez installé, ce sera à votre tour de préparer une petite gourmandise et de rendre l’assiette avec votre propre préparation. Ainsi, dès les premiers jours, une belle relation se noue à travers ces échanges et cette hospitalité mutuelle.

    Le voisinage en Suisse : une chance inestimable

    Lorsque nous avons emménagé dans notre immeuble à Genève, nous avons eu la chance de rencontrer une famille turque vivant dans l’immeuble d’à côté. Très vite, nous avons tissé des liens étroits. Nos enfants ayant presque le même âge, cette proximité nous apporte de nombreux avantages, à la fois pour eux et pour nous.

    Le dimanche matin, si nous nous réveillons avec un beau soleil, nous nous disons “Et si on sortait ?”, et nous partons ensemble en randonnée ou faire un barbecue. S’il pleut, nous nous invitons mutuellement pour un café, partageant ainsi nos expériences et rechargeant notre énergie pour une nouvelle semaine.

    Un voisin, une ressource précieuse au quotidien

    Parfois, alors que nous préparons un gâteau avec les enfants, nous réalisons qu’il nous manque un peu de farine ou un oeuf. Que faire ? Bien sûr, nous allons frapper à la porte du voisin en demandant “Auriez-vous une tasse de farine ou un oeuf à nous prêter ?”. Dans ces situations, la valeur monétaire de l’objet prêté n’est jamais mentionnée.

    Dans notre culture, partager ce que l’on a est une source de joie pour les deux parties, et la générosité ne s’accompagne jamais d’une attente financière. Ni celui qui donne ne demande “Combien me donnerez-vous ?”, ni celui qui reçoit ne propose de payer. Cependant, une délicieuse odeur de gâteau embaumera la maison peu après, et en offrir quelques parts à votre voisin ne fera que renforcer cette belle amitié.

    Le voisinage, un trésor pour les enfants aussi

    Pour les enfants, les relations de voisinage sont synonymes de jeu et de complicité. Lorsqu’ils s’ennuient à la maison, ils peuvent simplement

    frapper à la porte d’un ami et demander “Est-ce que je peux venir jouer ?” ou “Je m’ennuie, tu veux jouer dehors avec moi ?”.

    Aucun rendez-vous préalable n’est nécessaire. Cette spontanéité et cette liberté rendent les jeux entre voisins bien plus amusants et naturels.

    Le voisin, un véritable “assurance” en cas de besoin

    En Turquie, beaucoup de gens laissent un double des clés de leur maison à un voisin de confiance. Cela ne sert pas seulement à arroser les plantes pendant une absence, mais aussi à garder un oeil sur la maison lors de longues périodes d’absence. Le voisin viendra de temps en temps ouvrir les fenêtres pour aérer les lieux, sans jamais attendre de rémunération en retour.

    C’est une forme de solidarité et de confiance mutuelle. Après quelques mois de relation avec nos voisins, nous avons également échangé un double de nos clés. Ainsi, lorsque nos enfants rentrent de l’école et réalisent qu’ils ont oublié leur clé, ils n’ont plus besoin d’attendre dehors. Ils peuvent soit rester chez nos voisins, soit récupérer le double de la clé et entrer tranquillement chez nous.

    Un soutien précieux en cas de maladie

    Les périodes de maladie sont particulièrement difficiles, surtout si l’on vit seul. Dans ces moments-là, se lever pour préparer un simple bol de soupe peut être épuisant. Heureusement, en Turquie, les voisins veillent les uns sur les autres.

    Lorsqu’un voisin est malade ou vient de subir une opération, les autres viennent lui rendre visite pour lui demander s’il a besoin d’aide. “Une visite courte est toujours la meilleure” dit un proverbe turc, donc ces visites ne durent généralement pas plus de 15-20 minutes, juste assez pour montrer au malade qu’il n’est pas seul. En guise de geste attentionné, on apporte souvent des fruits frais ou du lait pour l’aider à récupérer plus vite.

  • La paix, enfin

    La paix, enfin

    Quelle plus grande aspiration de l’humanité que celle de la paix ? Quelle plus grande ambition que de parvenir à faire cesser hostilités et conflits et conduire le monde dans un temps nouveau, que l’on croirait presque surnaturel, où toute violence et tout rapport de force aurait cessé ? On ne compte plus les mouvements civils pour la paix, nés au lendemain des conflits les plus meurtriers, qui ont bâti des programmes et élaboré des visions pour en finir avec ce fléau qui ravage et détruit toute vie, qui obéit aux logiques des forces de mort, pour devoir constater amèrement qu’à une guerre a succédé une autre guerre, souvent pire que la précédente.

    Mais où commence la paix ? Dans une première approche, je ne peux que reconnaître qu’elle ne peut commencer qu’en moi. Que je suis le premier territoire qu’il s’agit de pacifier si je veux espérer qu’elle s’étende plus loin. « Faire la paix » avec moi-même, avec mes déceptions et mes frustrations. Avec mes blessures. Tenter de vivre des relations pacifiées avec mes plus proches : dans ma famille, avec mes collègues, avec mes amis. La paix demande un effort pour apprivoiser ce qu’il peut y avoir de violence en moi : parvenir à mettre des limites à la fois à la tentation de l’ « emporter » sur l’autre, à la fois à toute agressivité, que ce soit activement ou dans une sorte d’indifférence qui ne fait pas moins de mal.

    La Bible, dans le Livre de la Genèse, nous rapporte un récit mythique des commencements de l’humanité où déjà la violence s’introduit. Le mythe raconte l’humanité, dans une sorte de théâtre qui fait voir des choses qu’on ne sait pas nommer encore ou qui échappent à une appellation trop précise. Caïn et Abel sont deux frères, nés du premier couple humain. Chacun se distingue de l’autre, chacun espère vivre sa singularité : frères oui, mais non pas indistincts.

    Et voilà que, alors que cette singularité s’exprime de la façon la plus manifeste, quand l’une des offrandes présentées en sacrifice reçoit une approbation que l’autre ne reçoit pas, l’un des frères prend l’autre à part et le tue. Comme si cette différence de l’autre, sa seule différence, parce qu’elle me renvoie à ce que moi je ne suis pas ou à ce que je n’ai pas, me devenait tellement insupportable que je cherche à éliminer cet autre qui me bouleverse.

    D’autres passages bibliques évoquent les penchants de l’humain pour le pouvoir et le prestige, en négligeant la justice et l’humilité : des attitudes qui empêchent la paix et la repoussent. L’un d’eux décrit les débuts du règne de Salomon (1er Livre des Rois, ch. 8) : le jeune roi y est montré dans ses élans de bâtisseur. De façon fine, le texte nous précise que sur 20 ans de travaux de construction, 13 sont consacrés à l’édification de la Maison du roi, tandis que 7 servent à édifier la Maison de Dieu, le Temple. Comme un avertissement déjà, les prémisses du déclin d’un règne qui aura par trop ménagé l’exercice d’un pouvoir humain, trop humain, au détriment du service d’un autre lieu, un lieu qui fait place à une logique différente de celle du pouvoir humain. Peut-être un lieu « sans logique », un lieu qui ouvre à la gratuité et à l’abandon. Un lieu de prière qui libère des pulsions de la possession ou de l’influence.

    Chercher la paix, oeuvrer en vue de l’avènement de la paix ne peut que passer par une prise de conscience de tout ce qui, en nous ou autour de nous, s’oppose à des relations justes et équitables. La paix en effet ne se conçoit pas sans justice, sans que ne soient garanties les conditions qui établissent une justice entre les êtres et entre les peuples, et aussi entre l’humanité et le reste du monde vivant.

    La paix est peut-être le lieu le plus profond de l’espérance humaine. Elle désigne un extrême de ce que le coeur humain désire et elle a souvent été associée au rêve, liée à un mouvement intérieur de l’être qui est plus fort encore que la volonté, qui se passe même de la volonté pour nous emporter dans un ailleurs où enfin elle aurait droit de cité. C’est ainsi qu’un des livres prophétiques de la Bible offre une vision magnifique d’un temps où toutes les adversités seront réconciliées, où la violence inhérente à l’existence, animale ou humaine, cessera pour faire place à une sorte de communauté pacifiée. Un temps où plus rien ni personne n’aura à réclamer un droit envers autrui car tout sera toujours déjà donné, à chacun selon son besoin : « Le loup séjournera avec le mouton, la panthère se couchera avec le chevreau ; le taurillon, le jeune lion et les bêtes grasses seront ensemble, et un petit garçon les conduira. La vache et l’ourse auront un même pâturage, leurs petits une même couche ; le lion, comme le boeuf, mangera de la paille. Le nourrisson s’ébattra sur l’antre de la vipère,et l’enfant sevré mettra sa main dans le trou de l’aspic. Il ne se fera aucun mal, il n’y aura aucune destruction, dans toute ma montagne sacrée ; car la connaissance du SEIGNEUR remplira la terre comme les eaux recouvrent la mer. » (Livre d’Esaïe, chap 11)